La clause de réparation est connue du droit français. Introduite à la faveur de la loi « Climat et résilience » (loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets »), elle vise à libéraliser le marché des pièces détachées des véhicules automobiles. Pour ce faire, elle mobilise deux axes : d’une part, la création d’exceptions au droit des dessins et modèles et au droit d’auteur et, d’autre part, la limitation de la durée du droit exclusif de dessin et modèle pour certaines pièces de rechange. Mais l’action du législateur français, complexe dans le résultat, avait de quoi étonner alors que le « paquet européen Dessins et modèles » était annoncé.

 

  1. Contexte

 

On sait que le droit des dessins et modèles offre une protection aux pièces détachées d’un produit complexe pour peu qu’elles restent visibles lors d’une utilisation normale du produit, qu’elles remplissent les conditions de nouveauté et de caractère propre et que les formes ne soient pas exclusivement fonctionnelles. Cette voie permet notamment aux constructeurs automobiles de réserver les pèces détachées telles que les rétroviseurs, les pièces de carrosserie, les optiques, etc. Le droit d’auteur peut également être sollicité, au nom du principe de l’unité de l’art, si le critère d’originalité de la forme est rempli.

 

La directive 98/71/CE du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles n’a pas proposé d’harmonisation de la question des pièces de rechange, se restreignant à une « disposition transitoire » (art. 14) limitée au bénéfice de la libéralisation du marché, faute de consensus entre les Etats membres. Le règlement (CE) 6/2002 s’est maladroitement emparé du sujet, en imposant une exception aux termes de laquelle « une protection au titre de dessin ou modèle communautaire n’existe pas à l’égard d’un dessin ou modèle qui constitue une pièce d’un produit complexe qui est utilisée au sens de l’article 19, paragraphe 1, dans le but de permettre la réparation de ce produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale ». Mais l’interprétation de la CJUE devait réduire à peau de chagrin cette velléité de clause de réparation : dans un arrêt du 20 décembre 2017 (CJUE, 20 déc. 2017, aff. jtes C-397/16 et C-435/16, Porsche et Audi, pts 69 et s.), la Cour a en effet limité le bénéfice de la dérogation à la réparation d’un produit complexe devenu défectueux, excluant dès lors les motifs d’agrément ou de simple convenance esthétique, et sous réserve que l’apparence du produit complexe reste visuellement identique à celle de la mise sur le marché du produit.

 

  1. Droit français

 

La modification législative française, introduite par la loi « Climat et résilience », a suivi deux méthodes, distinguant le droit d’auteur du droit des dessins et modèles.

D’une part, du fait du principe de l’unité de l’art, une exception a été ajoutée à l’article L. 122-5 du CPI, dont le 12° suspend le monopole de droit d’auteur, en autorisant « la reproduction, l’utilisation et la commercialisation des pièces destinées à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque, au sens de l’article L. 110-1 du code de la route ». A cet endroit, aucune distinction n’est opérée selon le type de pièces ou selon les équipementiers (l’exception bénéficiant tant à l’équipementier d’origine qu’aux équipementiers alternatifs).

D’autre part, le droit des dessins et modèles est doublement limité : par une exception et dans la durée. D’abord, l’article L 513-6 du CPI impose une exception au droit exclusif pour « les actes visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque, au sens de l’article L. 110-1 du code de la route et qui : a) portent sur des pièces relatives au vitrage ; b) ou sont réalisés par l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine ». Ensuite, l’article L. 513-1 est complété et impose désormais que « la durée maximale de vingt-cinq ans prévue au premier alinéa est ramenée à dix ans pour les pièces mentionnées au 4° de l’article L. 513-6 pour lesquelles le même 4° ne prévoit pas d’exception à l’exercice des droits conférés par l’enregistrement d’un dessin ou modèle ». Ainsi, depuis le 1er janvier 2023, les pièces de vitrage peuvent être librement fabriquées et distribuées. Les équipementiers d’origine peuvent également fabriquer pour l’après-vente toutes les pièces qu’ils fabriquent pour la première monte. Si les pièces de tôlerie, souvent fabriquées par les constructeurs, ne bénéficient pas de l’exception, elles tombent cependant dans le domaine public dix ans après le dépôt.

Cela étant, il n’est pas assuré que le droit positif français soit, en l’état, conforme au droit européen, précisément sur le point de la durée.

 

  1. Proposition européenne

 

Le 28 novembre 2022, la Commission européenne a rendu publiques une proposition de nouvelle directive sur la protection juridique des dessins ou modèles (refonte, COM(2022) 667 final) et une proposition de modification du règlement (CE) 6/2002 (COM(2022) 666 final) sur les dessins ou modèles communautaires.

La clause de réparation y était attendue, à l’invitation des institutions de l’Union (Conclusions du Conseil sur la politique relative à la propriété intellectuelle et la révision du système de dessins et modèles industriels dans l’Union et Résolution du Parlement européen du 11 novembre 2021 sur un plan d’action en faveur de la propriété intellectuelle afin de soutenir la reprise et la résilience dans l’Union européenne (2021/2007(INI)), d’autant plus depuis que la France et l’Allemagne y avaient consenti en droit national.

La fragmentation normative au sein du marché européen imposait une réaction qui s’est traduite par deux dispositions dans le paquet Dessins et modèles – les articles 19 de la proposition de directive et 20 bis de la proposition de règlement. Ces dispositions reprennent largement les acquis de l’article 110 du règlement (CE) 6/2002, qui autorise, sous forme de disposition transitoire, de déroger au monopole « à l’égard d’un dessin ou modèle qui constitue une pièce d’un produit complexe qui est utilisée au sens de l’article 19, paragraphe 1 [décrivant le monopole d’exploitation], dans le but de permettre la réparation de ce produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale ». Deux ajouts apportent cependant des modifications notables.

D’une part, recueillant le fruit de la jurisprudence Acacia (CJUE, 20 déc. 2017, aff. jtes C‑397/16 et C‑435/16), les dispositions révisées précisent que la clause ne peut être invoquée que si le fabricant ou le vendeur d’une pièce d’un produit complexe a « dûment informé les consommateurs, au moyen d’une indication claire et visible figurant sur le produit ou sous toute autre forme appropriée, de l’origine du produit destiné à être utilisé aux fins de la réparation du produit complexe, indication permettant aux consommateurs de faire un choix en connaissance de cause entre des produits concurrents pouvant être utilisés pour la réparation ».

D’autre part, une condition supplémentaire est exigée : la paralysie des droits attachés à un modèle de pièce détachée est soumise à l’exigence que l’apparence du produit complexe « conditionne » le dessin ou modèle de ladite pièce. Ce critère, qui avait été écarté dans la jurisprudence Acacia au motif qu’il ne se trouvait que dans le préambule du règlement (CE)6/2002, est désormais clairement imposé. Sur ce point, si les pièces de carrosserie identiques aux pièces d’origine devraient dans ce cadre pouvoir être librement reproduites, il n’en va pas de même des jantes par exemple.

 

Enfin, la clause de réparation proposée ne s’imposera que dix ans après la transposition de la directive aux dessins et modèles enregistrés dans les Etats Membres dont la législation ne connaitrait pas de principe analogue dans leur droit national.

 

  1. Au-delà de la PI, une question de concurrence…

 

Comme exprimé par la Commission européenne, « les nouvelles règles contribueront à favoriser et à accroître la concurrence sur le marché des pièces de rechange » (Communiqué de presse, 22 nov. 2022). Le secteur automobile est particulièrement visé.

Le lien avec le droit de la concurrence est clairement établi par les autorités depuis quelques années, qui réclament une libéralisation totale des pièces de rechange, voire dénoncent des ententes (v. en ce sens, ADLC, 8 oct. 2012, n° 12-A-21 ; Règl. UE 461/2010 du 27 mai 2010 concernant l’application de l’art. 101, § 3, TFUE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile).

Cela étant, les dispositions révisées ne sont pas réservées à un secteur unique et il n’est pas assuré que certains produits complexes, qui nécessitent une haute technicité et un suivi qualité, puissent souffrir d’une telle clause de réparation, qui pourrait aussi remettre en cause l’authenticité et la garantie du produit complexe. De la confrontation des droits, pour l’heure oubliée par la Commission…