Dans un revirement de jurisprudence très net, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 13 octobre 2021 que le simple dépôt d’une marque non exploitée ne constitue pas une contrefaçon.
On se souvient que deux courants jurisprudentiels opposés alimentaient les chroniques de droit des marques en France. Le premier considérait que le dépôt n’est qu’un acte préparatoire à l’usage dans la vie des affaires, qu’il n’est pas fait en relation avec des produits et services dont l’origine doit être garantie auprès du public, lequel n’est d’ailleurs pas en contact avec le signe. Le second soutenait à l’inverse que l’usage est bien réalisé dans la vie des affaires, puisque le déposant cherche un avantage économique dans le cadre de son activité commerciale. La Cour de cassation s’était rangée à cette dernière opinion.
Ainsi, rappelant sa propre jurisprudence pour mieux la contredire, la Cour relève dans l’arrêt commenté qu’elle « a précédemment interprété les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, en ce sens que le dépôt à titre de marque d’un signe contrefaisant constitue à lui seul un acte de contrefaçon, indépendamment de son exploitation (Com., 26 novembre 2003, pourvoi n° 01-11.784 ; Com., 10 juillet 2007, pourvoi n° 05-18.571, Bull. 2007, IV, n° 189 ; Com., 21 février 2012, pourvoi n° 11-11.752 ; Com., 24 mai 2016, pourvoi n° 14-17.533) ». Cependant, cette interprétation doit être reconsidérée à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.
On sait notamment que la CJUE a précisé l’usage dans la vie des affaires, en excluant le domaine privé pour ne retenir que le contexte d’une activité commerciale visant à un avantage économique (CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal Football Club PLC c/ Matthew Reed). La Cour de cassation cite précisément l’arrêt Daimler, rendu par la CJUE, jugeant que « le titulaire d’une marque enregistrée ne peut interdire l’usage par un tiers d’un signe similaire à sa marque que si cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait sans le consentement du titulaire de la marque, est fait pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée et, en raison de l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public, porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (CJUE, arrêt du 3 mars 2016, Daimler, C-179/15, points 26 et 27 et jurisprudence citée) ».
En conséquence, la Cour de cassation opère un revirement et considère que « la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque, même lorsqu’elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services, au sens de la jurisprudence de la CJUE, en l’absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe. De même, en pareil cas, aucun risque de confusion dans l’esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire ». La demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque ne saurait donc caractériser un acte de contrefaçon.
Si l’affirmation semble claire, d’autres interrogations relatives à l’usage sont susceptibles de se poser. Notamment, quid en cas de dépôt de marque sans intention d’usage ? Quid encore en cas de dépôts successifs pour contourner le délai d’usage dans les 5 ans de l’enregistrement ?