Le Tribunal judiciaire de Paris a jugé irrecevable la demande du sculpteur Daniel Druet, lequel revendiquait la paternité des droits d’auteur sur huit œuvres de cire (La Nona Ora, La Rivoluzione Siamo Noi, Sans titre, Him, Frank and Jamie, Stephanie, Betsy et Now) modelées pour l’artiste conceptuel Maurizio Cattelan, faute d’avoir assigné ce dernier en personne.
Daniel Druet, modeleur pour le musée Grévin, collabore depuis de nombreuses années avec Maurizio Cattelan, artiste provocateur, auteur de l’emblématique banane scotchée sur le stand de la galerie Perrotin à la Art Basel Miami, vendue 120 000 dollars en 2019. Il réalisera dans ce cadre neuf sculptures pour ce dernier, dont certaines très connues, notamment La Nona Ora, qui représente de façon particulièrement réaliste le pape écrasé par une météorite, Frank and Jamie, deux policiers américains sur la tête, ou encore Him, un enfant, positionné de dos, agenouillé et qui possède en fait le visage d’Hitler, et Now, exposant le corps de John Fitzgerald Kennedy les yeux clos et les pieds nus, allongé dans un cercueil ouvert.
Souhaitant se voir reconnaître la qualité d’auteur, Druet a assigné la galerie Perrotin et la Monnaie de Paris, organisatrices de l’exposition « Cattelan not afraid of love ». L’artiste conceptuel n’a donc pas été directement impliqué. Il a seulement été attrait à la procédure par la Monnaie de Paris, sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Comme le relève le tribunal, cet appel en garantie simple ne crée de lien juridique qu’entre l’appelant en garantie et l’appelé, à l’exclusion de tout lien entre le demandeur à l’action principale, Druet, et l’appelé en garantie, Cattelan, Or, il s’agit bien ici de dénier la paternité de Cattelan pour la reconnaître ensuite à Druet à titre exclusif, sur les huit œuvres concernées. Les deux aspects étant liés.
La notion d’auteur, premier titulaire des droits sur l’œuvre, n’est pas définie par le droit. Pour autant, les notions fondamentales se renvoient les unes aux autres et il est de jurisprudence constante que l’auteur est le créateur, personne physique qui a marqué l’œuvre de l’empreinte de sa personnalité, pour lui donner son originalité. Pour faciliter la preuve de cet acte créatif très spécial, la loi française pose une présomption simple d’autorat à l’article L. 113-1 du CPI, en vertu duquel « La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ». Or, comme noté par le tribunal, « Maurizio Cattelan fait à juste titre valoir que les œuvres litigieuses ont toutes été divulguées sous son seul nom, aussi bien dans la presse, où il est systématiquement présenté comme leur unique auteur, qu’à l’occasion des expositions lors desquelles elles ont été mises en contact avec le public ».
Ainsi, la recevabilité des prétentions de Druet est bien soumise à la démonstration de sa qualité d’auteur, qui implique elle-même la négation de celle de Cattelan. Dès lors, comme le précise le tribunal, « faute d’avoir assigné en personne Maurizio Cattelan, auteur présumé, au préjudice duquel il revendique la titularité des droits sur les œuvres en cause, Daniel Druet doit être déclaré irrecevable en toutes ses demandes en contrefaçon de droit d’auteur ». Question de procédure, donc.
L’affaire n’est cependant pas tranchée au fond. On se souvient que, dans la célèbre affaire Renoir c/ Guino, la Cour de cassation a jugé que l’élève n’est pas nécessairement « un simple modeleur qui n’aurait pas fait un geste sans une indication » du maître ; il doit au contraire se voir reconnaître la qualité de coauteur lorsque, « conservant sa liberté de création », il imprime aux créations concernées « l’empreinte (de son) talent créateur personnel » (Cass. 1re civ., 13 nov. 1973, pourvoi n° 71-14469, Bull. civ. I, n° 302). Qu’en sera-t-il ici ? Druet est-il intervenu de manière originale dans l’univers des formes ? Une reconnaissance de paternité exclusive, comme demandé, paraît irréaliste, d’autant que le tribunal relève qu’« il n’est (…) pas contesté que les directives précises de mise en scène des effigies de cire dans une configuration spécifique, tenant notamment à leur positionnement au sein des espaces d’exposition visant à jouer sur les émotions du public (surprise, empathie, amusement, répulsion, etc.), n’ont émané que de [Maurizio Cattelan], Daniel Druet n’étant nullement en mesure – ni du reste ne cherchant à le faire – de s’arroger la moindre participation aux choix relatifs au dispositif scénique de mise en situation desdites effigies (choix du bâtiment et de la dimension des pièces accueillant tel personnage, direction du regard, éclairage, voire destruction d’une verrière ou du parquet pour rendre la mise en scène plus réaliste et plus saisissante) ou au contenu du message éventuel à véhiculer à travers cette mise en scène ». Il faudra donc bien soutenir autre chose que la simple exécution matérielle, laquelle ne saurait donner accès au statut d’auteur, au sens du droit d’auteur.